Encore une drôle de question. On pense souvent, à tort, qu’un accordeur de piano est un pianiste qui n’a pas pu en faire son métier et qui pour gagner sa vie, s’est rabattu sur le métier d’accordeur.
Ce cas de figure existe certainement mais comment être un professionnel rigoureux lorsqu’il s’agit d’un choix par défaut. On restera frustré toute sa vie.
D’autant plus que les deux métiers n’ont strictement rien à voir l’un avec l’autre. Les deux activités nécessitent des qualités communes : la rigueur, la passion, la concentration, mais bon nombre de métiers font appel à ces atouts. Le chirurgien, par exemple, aura aussi besoin de ces points forts. Je pense que le parallèle avec le médecin ou le chirurgien serait une meilleure comparaison. En effet le piano est comme le corps humain, on doit l’entretenir tout en tenant compte de sa nature, de son âge et de son histoire, votre accordeur doit être le médecin, voire le chirurgien, de votre piano.
On se sent toujours rassuré d’avoir un bon médecin qui saura prévenir les maladies et les traiter le cas échéant. On aime pouvoir se confier au docteur qui nous connaît depuis longtemps, qui connaît nos faiblesses et nos forces. J’aime m’occuper des pianos de cette façon-là, les suivre durant toute leur vie pour qu’ils puissent rester en bonne santé le plus longtemps possible.
Je pense qu’il y a au moins quatre conditions sine qua non pour être bon accordeur de pianos :
Tout d’abord, être un très bon musicien, pianiste de préférence :
Plus haut, je dis que les deux métiers n’ont rien à voir l’un avec l’autre, c’est vrai. Un pianiste peut se permettre d’ignorer le fonctionnement mécanique et technique du piano. L’inverse est moins évident, comment un accordeur pourra comprendre les attentes d’un musicien, même amateur ou débutant, s’il n’a pas lui-même ressenti les mêmes difficultés face à son instrument et si le vocabulaire employé par le musicien ne parle pas à l’accordeur. Pour faire une comparaison, si vous êtes gourmand et que vous aimez les gâteaux au chocolat, vous n’êtes pas forcement doué pour les préparer ; en revanche, comment un pâtissier qui n’aimerait pas les gâteaux et ne serait pas gourmand pourrait-il confectionner de bons gâteaux et faire plaisir à ces clients ?
Puis, avoir reçu son savoir de grands Maîtres passionnés :
Il s’agit d’un métier artisanal qui ne s’apprend pas dans les livres, la transmission du savoir par l’apprentissage de gestes techniques corrigés et perfectionnés quotidiennement est indispensable. Le métier d’accordeur réparateur de pianos ne se maitrise pas en quelques mois, ni même en quelques années et si vous n’avez pas à vos côtés des instructeurs exigeants et intransigeants, vous n’arriverez jamais à acquérir les bases de ce métier très complexe.
Bien sûr, être diplômé d’Etat :
Cela ne constitue pas une panacée, dans ce métier comme dans tant d’autres. Mais avoir un socle de connaissance théorique est toujours souhaitable quelle que soit l’activité. Et puis vous écarterez les spécialistes autoproclamés qui n’ont en réalité aucune base solide…
Et enfin, avoir de nombreuses années d’expérience (une quinzaine, c’est un minimum) :
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage! »
Cette citation de Nicolas Boileau devrait être le précepte de tous les accordeurs. En effet, même si le diplôme sanctionne un apprentissage de trois années, il faut en réalité entre cinq et sept ans, de travail quotidien exclusivement à l’oreille, pour savoir accorder correctement. L’oreille se forme, s’exerce, se modèle jusqu’à entendre ce que personne n’entend.