Je veux aujourd’hui parler du son, car une bonne connaissance de celui-ci permet de mieux comprendre pourquoi un piano pourtant régulièrement et correctement accordé ne donne pas toujours satisfaction à son utilisateur.
Combien de fois ai-je entendu dire par des clients déçus cette réflexion désabusée : « mon piano n’est plus aussi mélodieux qu’autrefois », et pour expliciter leur reproche, emploient une expression imagée : il est devenu : « crin-crin ». D’autres plus précis disent : « métallique » ou « criard » et certains envisagent même de s’en séparer.
Avant d’avoir recours à cette ultime solution, il faut demander à son accordeur de vérifier si l’instrument n’a tout simplement pas besoin d’être réharmonisé, son timbre s’est probablement modifié avec le temps par le tassement ou pire, l’usure des feutres des marteaux qui frappent les cordes. Souvent ce travail est négligé d’être fait par certains accordeurs prétendant être pianistes mais n’ayant pas reçu cette formation qui demande une longue expérience.
Le travail de l’harmonisateur sera, en fonction du timbre à obtenir, de rendre les feutres plus ou moins fermes ou plus ou moins souples. Si ceux-ci sont par contre trop marqués par les cordes, il faut les poncer, voire les remplacer avant de commencer un travail de piquage.
Celui-ci consiste, si le timbre est trop métallique, à donner au feutre plus d’aération en le piquant à des endroits et profondeurs différents selon le résultat recherché avec un outil spécial ; le feutre moins ferme absorbera les harmoniques élevés plus facilement, le timbre obtenu sera plus rond.
Inversement un timbre trop sourd, il le rendra plus brillant en donnant plus de fermeté au feutre en l’imprégnant d’un produit spécial, procédé du reste utilisé souvent en usine afin de permettre de faire écouter un piano en démonstration dans un magasin de vente où l’acoustique est telle que le son paraît plus étouffé. L’exiguïté a l’inconvénient d’absorber plus les sons aigus que les graves, donnant un rendu de l’instrument plus terne moins flatteur, contrairement aux grandes salles vides où « l’effet hall de gare » appelé aussi « l’effet cathédrale » est très prononcé. Un tel piano devra vraisemblablement être réharmonisé une fois livré chez l’acheteur, surtout s’il est placé dans une grande pièce vide (dépourvue de matériaux absorbants comme moquettes, rideaux, gros meubles, etc.)
Pour comprendre d’une façon plus scientifique ce qui se passe :
- 1) Qu’est-ce qu’un son ?
- 2) Caractéristiques du son
- 3) Visualiser un son
- 4) Le timbre
- 5) Conclusion : harmonisation
Pour vous aider à comprendre comment l’état des feutres joue un rôle essentiel sur la qualité du timbre de votre piano, je vous propose une expérience facile à faire. Avec le dos d’une petite cuillère recouvert d’un feutre adhésif, frappez un verre, il émet un son sourd. Renouvelez l’opération après avoir retiré la rondelle de feutre, cette fois le son est devenu plus clair, voire clinquant ou métallique. Vous venez de réaliser, dans une certaine mesure ce qui se passe dans le piano, mais ce n’est qu’un constat de fait, pas une explication. Aussi suis-je maintenant obligé de vous parler du son et de ses harmoniques qui lui donnent son timbre en essayant d’être simple : utilisation de croquis, de courbes, suppression de calculs compliqués, du moins je vais tenter de le faire.
1) QU’EST-CE QU’UN SON ?
C’est une sensation auditive produite par les vibrations régulières d’un corps sous l’effet d’un choc, d’un frottement ou de toutes autres causes mécaniques, transmise à l’oreille généralement par l’air. Lorsque ces vibrations sont irrégulières, elles sont désagréables à entendre, on parle alors de bruit ; exemples : grincements, grondements, pétarades, claquements etc.
2) CARACTERISTIQUES DU SON
Un son est défini par trois paramètres :
- L’amplitude ou son intensité sonore qui se mesure en décibels (dB).
- La hauteur appelée aussi fréquence : c’est le nombre de vibrations par seconde qui se mesure en hertz (Hz) ou en périodes par seconde (P.P.S.). Un son est dit grave entre 20 et 200 Hz environ. Plus la fréquence augmente plus il devient aigu. La limite audible pour une oreille normale ne dépasse pas 18 à 20.000 Hz et diminue avec l’âge.
- Le timbre souvent appelé sonorité. C’est lui qui vous fera comprendre le rôle important joué par l’harmonisation. Il donne à l’instrument de musique sa personnalité. Grâce à lui il est possible de reconnaître à l’écoute un instrument particulier parmi d’autres jouant la même note d’une même octave. Il est indépendant des deux paramètres cités plus haut, il est la conséquence uniquement de ses harmoniques. Ce sont eux qui par leur rang, leur phase et leur amplitude donnent au son en se combinant à lui, sa « coloration » spécifique appelée timbre. Les harmoniques sont des vibrations sonores de fréquence double, triple, quadruple, etc et toujours un multiple entier du son pur qui donne la hauteur (fréquence). La connaissance sur la forme du son pur et de celle des harmoniques va nous permettre de comprendre comment leur combinaison modifie le timbre.
3) VISUALISER UN SON
Des appareils de laboratoire appelés oscilloscopes cathodiques combinés avec un microphone permettent de le faire. Ce procédé n’étant pas à la portée de tous, on peut utiliser un moyen qui était décrit autrefois dans les livres de physique des classes du brevet élémentaire.
- prendre une plaque d’aluminium ou de verre.
- la noircir de suie à l’aide d’une flamme de bougie.
- coller un poil de brosse sur l’extrémité d’une des branches d’un diapason.
- faire vibrer le diapason puis le déplacer en ligne droite, le poil faisant contact sur la suie. Une ligne sinueuse se dessine.
Plus le déplacement sera lent, plus les sinuosités seront serrées. En choisissant judicieusement une vitesse rapide, on peut arriver à obtenir une seule sinuosité. Les physiciens et les mathématiciens l’ont baptisée sinusoïde. En mathématiques on parle de fonction trigonométrique de la forme f(x) = sinus (x).
4) LE TIMBRE (explication graphique)
Pour expliquer comment un son pur acquiert un timbre en se combinant avec un ou plusieurs harmoniques, nous prendrons le cas le plus simple : un seul harmonique le 2, c’est-à-dire le double de la fréquence du son fondamental qui donne la hauteur de la note. Par exemple, pour le LA3, 440 périodes par seconde (PPS), l’harmonique 2 sera le LA4 880 PPS.
- Traçons figure 1. la courbe représentative d’un son pur.
- Traçons figure 2. la courbe représentative de son harmonique 2.
- Relevons pour chacune de ces deux courbes leurs amplitudes respectives pour différentes et mêmes valeurs croissantes de temps.
- Traçons figure 3. la courbe représentative correspondant à la somme algébrique des amplitudes de ces deux courbes, c’est-à-dire en tenant compte des polarités positives des alternances supérieures et négatives de celles inférieures (résultat de la combinaison du son fondamental déformé par son harmonique 2).
Temps | Amplitude courbe1 | Amplitude courbe2 | Somme des Amplitudes courbe1+ courbe2 |
Temps | Amplitude courbe1 | Amplitude courbe2 | Somme des Amplitudes courbe1+ courbe2 |
0 | 0 | 0 | 0 | 18,5 | – 0.90 | + 1,74 | + 0,84 |
0,5 | + 0,9 | + 1,74 | + 2,64 | 19 | – 1,74 | + 3,4 | + 1,66 |
1 | + 1,74 | + 3,40 | + 5,14 | 19,5 | – 2,60 | + 5,00 | + 2,40 |
1,5 | + 2,60 | + 5,00 | + 7,60 | 20 | – 3,40 | + 6,40 | + 3,00 |
2 | + 3,40 | + 6,40 | + 9,60 | 20,5 | – 4,23 | + 7,65 | + 3,42 |
2,5 | + 4,23 | + 7,65 | + 11,88 | 21 | – 5,00 | + 8,65 | + 3,65 |
3 | + 5,00 | + 8,65 | + 13,65 | 21,5 | – 5,73 | + 9,40 | + 3,68 |
3,5 | + 5,72 | + 9,40 | + 15,13 | 22 | – 6,40 | + 9,85 | + 3,45 |
4 | + 6,40 | + 9,85 | + 16,25 | 22,5 | – 7,10 | + 10,00 | + 2,90 |
4,5 | + 7,10 | + 10,00 | + 17,10 | 23 | – 7,65 | + 9,85 | + 2,20 |
5 | + 7,65 | + 9,85 | + 17,50 | 23,5 | – 8,20 | + 9,40 | + 1,20 |
5,5 | + 8,20 | + 9,40 | + 17,60 | 24 | – 8,65 | + 8,65 | 0,00 |
6 | + 8,65 | + 8,65 | + 17,30 | 4,5 | – 9,05 | + 7,65 | – 1,40 |
6,5 | + 9,05 | + 7,65 | + 16,70 | 25 | – 9,40 | + 6,40 | – 3,00 |
7 | + 9,40 | + 6,40 | + 15,80 | 25,5 | – 9,65 | + 5,00 | – 4,65 |
7,5 | + 9,65 | + 5,00 | + 14,65 | 26 | – 9,85 | + 3,40 | – 6,45 |
8 | + 9,85 | + 3,40 | + 13,25 | 26,5 | – 9,95 | + 1,74 | – 8,21 |
8,5 | + 9,95 | + 1,74 | + 11,69 | 27 | – 10,00 | 0,00 | -10,00 |
9 | + 10,00 | 0,00 | + 10,00 | 27,5 | – 9,95 | – 1,74 | -11,69 |
9,5 | + 9,95 | – 1,74 | + 8,21 | 28 | – 9,85 | – 3,40 | – 13,25 |
10 | + 9,85 | – 3,40 | + 6,45 | 28,5 | – 9,65 | – 5,00 | – 14,65 |
10,5 | + 9,65 | – 5,00 | + 4,65 | 29 | – 9,40 | – 6,40 | – 15,80 |
11 | + 9,40 | – 6,40 | + 3,00 | 29,5 | – 9,05 | – 7,65 | – 16,70 |
11,5 | + 9,05 | – 7,65 | + 1,40 | 30 | – 8,65 | – 8,65 | – 17,30 |
12 | + 8,65 | – 8,65 | 0,00 | 30,5 | – 8,20 | – 9,40 | – 17,60 |
12,5 | + 8,20 | – 9,40 | – 1,20 | 31 | – 7,65 | – 9,85 | – 17,50 |
13 | + 7,65 | – 9,85 | – 2,20 | 31,5 | – 7,10 | – 10,00 | – 17,10 |
13,5 | + 7,10 | – 10,00 | – 2,90 | 32 | – 6,40 | – 9,85 | – 16,25 |
14 | + 6,40 | – 9,85 | – 3,45 | 32,5 | – 5,72 | – 9,40 | – 15,13 |
14,5 | + 5,73 | – 9,40 | – 3,68 | 33 | – 5,00 | – 8, 65 | – 13,65 |
15 | + 5,00 | – 8,65 | – 3,65 | 33,5 | – 4,23 | – 7,65 | – 11,88 |
15,5 | + 4,23 | – 7,65 | – 3,42 | 34 | – 3,40 | – 6,40 | – 9,80 |
16 | + 3,40 | – 6,40 | – 3,00 | 34,5 | – 2,60 | – 5,00 | – 7,60 |
16,5 | + 2,60 | – 5,00 | – 2,40 | 35 | – 1,74 | – 3,40 | – 5,14 |
17 | + 1,74 | – 3,40 | – 1,66 | 35,5 | – 0,90 | – 1,74 | – 2,64 |
17,5 | + 0,90 | – 1,74 | – 0,84 | 36 | 0,00 | 0,00 | 0,00 |
18 | 0,00 | 0,00 | 0,00 |
Les trois courbes étant tracées, on voit que celle de la figure 3. n’a pas la forme d’une sinusoïde pure comme les figures 1. et 2. . Elle est déformée. Cette courbe étant la combinaison des courbes figures 1. et 2., elles-mêmes étant une représentation de sons bien réels, le son correspondant à la figure 3. ne peut être obligatoirement que déformé. On dit que ce son est le résultat d’une coloration spécifique du son pur par l’harmonique 2 ou bien qu’il a acquis un timbre.
Ci-dessous même courbe que celle figure 3. tracée manuellement, mais cette fois avec l’aide de l’ordinateur. Elle est plus régulière que la courbe manuelle qui a eu l’avantage par contre de nous permettre de pouvoir expliquer comment se combinent sons et harmoniques dans l’élaboration du timbre sans faire appel à des mathématiques, comme je m’y étais engagé au début. On remarquera avec satisfaction l’air de famille des courbes obtenues soit graphiquement, soit par ordinateur.
5) CONCLUSION : HARMONISATION
L’essentiel étant dit sur le son, nous définirons ce qu’est l’harmonisation d’un piano. Dans la démonstration graphique, on a vu comment un son pur était déformé quand il se combinait avec l’harmonique 2, choix dicté pour des raisons de facilité du tracé manuel point par point des courbes figures 1, 2 et 3. Or en réalité, votre piano émet non seulement des harmoniques 2 mais aussi des harmoniques 3, 4, 5, etc., correspondant respectivement à des fréquences triples, quadruples, etc., dont les amplitudes et les déphasages (décalages) entre eux et rapport au son fondamental donnent le timbre spécifique à l’instrument. Nous l’avons vu paragraphe 2), ces harmoniques sont des fréquences multiples du son fondamental de plus en plus élevées donc de plus en plus aiguës. Ces sons en l’absence d’harmonisation donnent un timbre désagréable, trop métallique, trop clinquant. Un tri s’impose dans toutes ces harmoniques et c’est là qu’un travail délicat et minutieux par l’harmonisateur sur les feutres et les marteaux intervient. Déjà au paragraphe 3), avec l’expérience du verre et du feutre collé sur la cuillère, nous avons donné une ébauche d’explication sur le rôle joué par le feutre comme filtre des fréquences aiguës.